À gauche, Jad – À droite, Kheireddine – Garosnow 2025 – © Oce-B / Valliue

Alors qu’on les avait croisés il y a quelques mois lors de Garosnow, on a profité du Week-end des Curiosités pour discuter avec un duo que l’on apprécie particulièrement : Kabylie Minogue ! De leur célèbre Boiler Room au Bikini jusqu’au développement de la scène culturelle en Algérie, en passant par leur vibe ultra positive derrière les platines… Découvrez leurs propos ci-dessous :

Salut Jad et Kheireddine ! Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Kheireddine : Bonsoir, on s’appelle Kabylie Minogue, on est un duo parisien. On était colocs à l’époque, quand on avait commencé le projet ! C’était donc un projet qui avait été lancé entre amis afin de partager de la musique.

C’est la question de base du site Valliue… Quelle est votre définition de la musique électronique ?

Jad : C’est hyper dur ! C’est compliqué car c’est à la fois un genre musical, mais également un procédé technique. Je pense que la musique électronique est quand la dimension électronique prédomine sur les autres sonorités super large !

Kheireddine : Franchement, je ne sais pas, c’est compliqué. La musique électronique, on l’associe quand même souvent à l’EDM. Pour moi, j’associe vraiment la musique électronique avec la danse et la fête. C’est un peu biaisé ! Pour moi, l’ambient est électronique mais je ne le considère pas entièrement pareil. Je fais cette erreur de vraiment associer la musique électronique à l’EDM.

On a tendance à vous qualifier d’électro-oriental, ce qui ne veut un peu rien dire tant vous mélangez les influences. Dans vos sets, on peut entendre des sonorités du monde entier (Maghreb, Moyen-Orient, Inde, Brésil…) reliées à différents styles électroniques (trance, dnb…) et même des parties plus pop. N’est-ce pas trop compliqué de jouer tous ces styles sans perdre en cohérence ?

Kheireddine : Si, carrément ! C’est un peu l’exercice qu’on fait à chaque set. Des fois, ça a été plus compliqué. Ça arrive par exemple que je balance un son, et que Jad ne trouve pas ça cohérent et me demande d’enlever, mais moi je trouve ça bien (rires). Il y a des moments où on se cherche un peu (rires). Mais c’est ça qui est cool aussi !

Jad : Comme on ne prépare pas nos sets, on n’a pas de limite de genres ! On a chacun notre vie personnelle donc on se retrouve au moment de jouer, devant un public qu’on ne connaît pas forcément. Des fois, on a deux lectures différentes. Donc ça peut ne pas être cohérent. Mais quand on est synchronisé ensemble, c’est parfait car on rigole et les mélanges se font bien. Ce soir, il y avait quelque chose de marrant par exemple ! On a pu passer ensemble une track psytrance, une UK Bass et une de rap. Dans ces cas-là, il y a des choses sympas qui se passent.

Est-ce que votre choix de vous tourner vers la musique électronique était principalement lié à cette liberté musicale ?

Kheireddine : Oui ! Et aussi, quand on a commencé à mixer et produire, on a découvert le fait de faire tout ça par ordinateur. De faire des edits, de toucher au son sans forcément être dans un studio… Je pense que c’est cette liberté qui nous a amenés vers ce qu’on fait aujourd’hui.

Jad : C’est aussi une question de budget. Concrètement, il suffisait d’Ableton pour sortir quelque chose en quelques heures.

Kheireddine : C’est vrai, c’est grâce à la musique électronique qu’on a cette liberté. S’il fallait acheter des amplis, du matériel au fur et à mesure, on aurait avancé difficilement. Là, il nous fallait simplement un ordi et un casque.

Est-il plus compliqué de convaincre un public de tranceux avec du Britney Spears, ou un grand public avec du Hilight Tribe ?

Jad : Ah, c’est une très bonne question (rires) ! Le grand public avec du Hilight Tribe, ça marche tout le temps. Ce sont des tracks que tout le monde kiffe. Nous, notre théorie, c’est que tout est possible si tu l’amènes bien. Des fois, on a réussi à faire danser des gens sur des choses censées être impossibles. Donc je pense que les deux sont possibles. Je ne veux pas me mettre les tranceux à dos (rires) !

Votre premier et dernier EP “Pyjama Baazar” date de 2021. Sortir un nouveau gros projet est-il prévu prochainement, ou c’est trop compliqué à l’heure où les plateformes de streaming favorisent la sortie de singles réguliers au détriment d’un album ?

Kheireddine : Tu as exactement capté notre problématique. Quand on s’est lancé, on était plus libre. Maintenant, la release d’un projet demande beaucoup de fonds. On n’a pas pris ce chemin-là car ça demande beaucoup de contraintes. Faire un gros projet, ça trottait dans nos têtes mais je ne pense pas que ce soit notre objectif à court-terme. On veut tendre vers ça mais on connaît les sacrifices à faire pour que ce soit fait correctement.

Jad : Le premier projet, c’est un peu facile. Tu viens te décharger de toute ta vie d’avant. “Pyjama Baazar” est mon premier son, et j’avais déjà toute une esthétique dans ma tête pour le faire. Pour continuer et faire d’autres projets, il te faut du temps, recharger tout ça. Je pense qu’il faut du temps, et que ça reviendra à un moment.

Ce soir, vous avez joué 3h ! Artistiquement parlant, comment préparez-vous cela, lorsque l’on est plus habitué à jouer 1h / 1h30 ?

Kheireddine : C’est plus facile ! Quand on joue pendant 3h, il y a moins de préparation car on a plus de temps de lire les gens. Justement, à la fin, on s’est dit que c’était super cool d’avoir joué 3h ! On peut prendre le temps sans se précipiter.

Jad : On a vraiment la notion “point de départ” et “point d’arrivée”. En 3h, c’est facile de faire ton chemin. Quand tu joues 1h, c’est beaucoup plus technique parce qu’il faut bien choisir chaque track.

Au Bikini, ici-même, vous avez réalisé un super Boiler Room en 2019. Mythique pour de très nombreux artistes passés dans cet établissement, on est d’accord qu’on a la meilleure salle de France ?

Kheireddine : Ouais, carrément (rires). Mais La Belle Électrique, elle vous fait un peu concurrence non ? En fait non, ce n’est pas vraiment la même énergie. Même le resto, il est génial ici ! Mais c’est vrai qu’il y a de très belles salles en France, et qui ne sont pas parisiennes.

Jad : Même si on se rappelle la première fois, quand on fait le soundcheck avant la Boiler Room… On a pris une sacrée claque !

On vous a vu à St Lary en janvier lors de Garosnow. En plus d’avoir passé un super moment musicalement, on a été agréablement marqué par vos grands sourires tout le long de votre set. Lorsqu’un artiste a une énergie positive, est-ce que son public lui rend naturellement ?

Jad : Ouais, vraiment (rires). Surtout, ça a un effet boule de neige. C’est vraiment cool ! Même des fois, nous, on est concentré dans nos platines. Quand on lève la tête et qu’on voit une personne dans le public avec un smile de fou, ça nous fait kiffer et ça peut faire sourire tout le premier rang ! Ça nous donne de la bonne humeur, on la renvoie et ça continue en boucle comme ça. Pour Garosnow par exemple, je suis certain qu’il a dû y avoir quelqu’un au premier rang qui nous a partagé sa bonne humeur.

Kheireddine : Ce soir aussi, même si on était plus loin des gens. On préfère les scènes plus proches avec de la proximité. Parce que justement, on a plus de contact avec notre public et on peut avoir une meilleure lecture, si je peux dire ça comme ça (sourire).

Vous n’avez pas encore joué en Algérie. Est-ce que cela vous rajoute une pression supplémentaire de jouer devant le public de vos racines ?

Kheireddine : C’est parce qu’on connaît le contexte algérien justement, qu’on ne peut pas vraiment y jouer pour l’instant. C’est bien d’en parler car il y a des initiatives de plein de gens et de collectifs qui veulent mettre en place une scène électro. Mais ça reste quand même compliqué pour plusieurs raisons. Elles sont liées à la culture et à l’organisation. Ça coûte cher d’organiser. Même pour les gens locaux, louer une salle n’est pas évident. J’en ai parlé avec des gens qui vivent en Algérie, j’ai rencontré quelques pros. Il y a des gens qui veulent mettre des choses en place, organiser des festivals etc. Ils ont déjà fait des choses très cools ! Mais c’est tout le temps sous pression, et avec plein de galères. Donc pour l’instant je ne sais pas. Perso ça me fait un peu peur d’y jouer actuellement. Cet engagement me fait un peu peur car c’est très important pour moi. Parce qu’on a déjà fait Tunisie et plusieurs villes au Maroc. Il y a de l’investissement financier dans ces pays et une culture un peu plus électro. Alors qu’en Algérie, il y a des clubs hein. Mais tu vas beaucoup plus entendre du raï par exemple. Notre musique ne parlerait peut-être pas aux gens. Je ne veux pas dire que ça toucherait plus une élite, mais peut-être plus des gens qui voyagent par exemple, qui ont fait des festivals à l’étranger. Donc ça reste assez limité. Toi Jad, je ne sais pas si ça te ferait plaisir ?

Jad : En fait, c’est ça je pense. Si ça a bien marché en Tunisie et au Maroc, je pense qu’il y a eu une corrélation directe avec le tourisme. Dans le tourisme, il y a le tourisme de la fête qui est inclus. Par exemple en Tunisie, on a vu Gammarth qui est un très gros complexe avec plusieurs clubs, les uns à côté des autres. Ça injecte de l’argent que tu peux réinvestir dedans.

Kheireddine : Il y en a un savoir-faire aussi. Quand c’est lié au tourisme, il ont pu avoir de l’expérience en termes d’organisation. Comme au Maroc, il y a des festivals qui ont des sponsors etc. En Algérie, c’est beaucoup plus dur. Par contre, il y a eu un petit virage quand DJ Snake a sorti “Disco Maghreb” en 2022. À ce moment-là, on jouait déjà cette vibe avec Jad. Et ça a fait prendre conscience à certains proches qui nous disaient “Vous jouez un peu les mêmes choses que DJ Snake” quand ils ont vu notre Boiler Room (sourire). Il a permis de démocratiser un peu tout ça, et de faire ouvrir les esprits. Parce que je crois que, lui aussi, il était dans cette recherche. Il a fait quelque chose d’authentique, il est allé là-bas pour creuser. C’est un peu comme quand Laurent Garnier a gagné les Victoires de la Musique en 1998, ça a ouvert des portes. Donc maintenant, plein de gens se lancent dans la production et la musique en Algérie. C’est vraiment un point que je voulais rajouter par rapport à l’Algérie, il y a beaucoup d’espoir sur ce qui peut se passer là-bas.

On ne trouve pas énormément d’interviews de vous, malgré un profil intéressant musicalement et beaucoup de sujets différents à évoquer. Est-ce un choix de votre part ? Quelle est votre image de la presse ?

Jad : Personnellement, j’aime bien quand l’idée peut se développer en profondeur. Actuellement, il y a souvent des formats courts et rapides, faits entre deux scènes. Donc on échange souvent des banalités. Les questions ne sont pas forcément très profondes, et mes réponses pas très réfléchies sur le coup. Donc je trouve qu’il n’y a pas vraiment de valeur ajoutée. Même moi, je ne vais lire que des choses qui sont allées en profondeur comme les séries Art of Djing sur Resident Advisor par exemple. Après toi, tes questions sont particulièrement bonnes et on sent que c’est pas ChatGPT qui a fait le travail (sourire). Mais quand ça reste très en surface, ça ne m’intéresse pas.

Quels sont vos projets à venir ?

Kheireddine : Je t’avoue, cette année, on s’est dit qu’on voulait sortir quelque chose mais on a décidé de prendre un peu plus de temps. On cherche toujours la même cohésion que l’on trouve dans le djing. Quand on est tous les deux derrière un ordi, ce n’est pas si facile de l’avoir dans la production. Si on arrive à trouver cette cohésion, on pourra plus facilement parler de futures releases. Pour l’instant, on est encore en phase de recherches.

Jad : Je trouve ça plus fun de mixer ! Il y a quelque chose de bien plus immédiat, dans la réaction avec son public.

Merci d’avoir répondu à nos questions ! Avez-vous un dernier message à faire passer ?

Kheireddine : Moi j’en ai un : Free Palestine ! Je ne sais pas combien d’années ça fait, mais je n’en peux plus… Je n’en parle pas mais s’il y a un dernier message à faire passer, c’est bien celui-là.

Jad : J’ai exactement le même message. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de plus important à dire actuellement.

Préparation, réalisation et retranscription : Valso

By Valso