Copyright: Martin Sao Pedro

La rédaction de Valliue a toujours mis un point d’honneur à découvrir des artistes émergents au talent indéniable. C’est le cas avec Martin Sao Pedro que nous suivons depuis son premier EP intitulé « Quaero » et à qui nous avons tendu notre micro afin de connaître son histoire. Musique personnelle, touchante et immersive, le jeune producteur nous a bluffé plus d’une fois. Voici ses propos :

Salut Martin ! Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?

Salut, moi, c’est Martin Sao Pedro, j’ai 22 ans, je suis Bruxellois et je suis étudiant. J’ai commencé à faire de la musique quand j’avais 10 ans, à l’aide d’une petite table de mixage. J’ai passé plusieurs années à mixer dans mon grenier pendant des heures et des heures jusqu’à en avoir des cloches sur les doigt. Mes parents pétaient des cables (rires).

Ensuite, je me suis très rapidement découvert cette passion pour la musique électronique et j’ai commencé à produire avec le premier confinement et ce cher Covid-19… Ce qui remonte déjà à 4 ans.

C’est la question de base de notre site… Quelle est ta définition de la musique électronique ?

Pour moi, la musique c’est avant tout quelque chose qui doit générer des émotions. C’est ultra important qu’une musique soit porteuse de sens. J’utilise parfois le terme « musique vide » et je n’ai pas trop envie de le dénigrer parce que la musique c’est aussi des mathématiques. On sait que certains accords marchent mieux que d’autres, que telles et telles règles fonctionnent à coup sûr.

Mais pour moi une musique « porteuse de sens » est beaucoup plus agréable à l’écoute, mais aussi à produire et à partager avec les autres. Et ce qui est très intéressant avec la musique électronique en particulier, c’est qu’il n’y a rien qui est imposé à l’auditeur, chacun peut se faire sa propre expérience et interprétation. Certains vont avoir envie de faire la fête et d’autres, sur le même morceau, vont préférer l’écouter en allant courir par exemple.

Le fait que chacun puisse se faire sa propre expérience de la musique électronique, c’est ça qui me plaît ! J’adore également associer les sonorités électroniques aux sonorités beaucoup plus acoustiques, parce que j’aime le côté humain des choses. Et même si la musique électronique est relativement mathématique, on voit que l’analogique, le fait de chipoter aux boutons en live, c’est quelque chose qui devient très à la mode ! Les gens ont besoin d’avoir quelque chose de beaucoup plus humain dans la musique que du purement mathématique et des patterns sur un ordinateur.

Tu viens de sortir un EP incroyable intitulé « Interferences ». Est-ce que tu pourrais nous en dire plus sur le processus créatif ?

Je suis quelqu’un qui fait de la musique très lentement, je mets énormément de temps à produire, donc c’est un très long processus. Le projet a pris plus d’un an, certains tracks étaient prêts depuis juillet 2023 mais je ne savais pas comment les amener. En fait, je réfléchissais beaucoup trop… Ce qui a donné l’idée de « Interferences ».

Le fait d’avoir constamment des pensées en tête, de réfléchir trop sur trop de sujets, c’est le message de base que j’ai voulu transmettre au travers d’« Interferences ». Je voulais également dénoncer le fait qu’on est constamment parasité par une multitude de bruits ambiants. On fait face tout le temps à plein de contenu, à des notifications sur nos réseaux, on reçoit des messages sur dix applications différentes dans un laps de temps hyper court.

Même notre manière de consommer du contenu maintenant, c’est que des formats super courts sur des sujets hyper variés qui, pour moi, me parasitent l’esprit, et que j’aime bien appeler « bruit ». Je voulais dénoncer ces interférences que je sentais comme trop présentes, qui me dispersaient trop. C’est ce que j’ai voulu traduire en racontant l’histoire d’« Interferences ».

L’intro de l’EP représente tout cela avec des bruits ambiants très désagréables et angoissants. Face à cela, je voulais immerger l’auditeur dans une bulle grâce à des sonorités et des mélodies enivrantres. L’objectif était donc d’offrir un moment de détachement face à tout ces bruits parasites.

Combattre le bruit avec de la musique, c’est une approche unique et spéciale !

Oui, c’est vrai, c’est une approche qui est très spéciale et c’est aussi difficile à amener parce que dans le genre de musique que j’aime produire, c’est souvent des tracks longs. On est sur du BPM Melodic House entre 122 et 126 BPM.

On est dans un monde où on est habitué à consommer du contenu toujours de plus en plus court, avec des morceaux de plus en plus impactants, de plus en plus rapides. Réussir à essayer d’attraper l’auditeur et lui dire « Ok, il faut t’emmener de là à là en écoutant un track pendant 6 minutes », c’est extrêmement compliqué, surtout à l’heure actuelle. Et c’est un des défis d’« Interferences », proposer un paysage musical serein et de prendre le temps de le construire.

J’ai surtout essayé dans mon processus créatif de me détacher des codes et des tendances, de créer des titres qu’on aurait pu écouter il y a 5 ans et qu’on pourra écouter dans 5 ans. J’essaie de viser un côté intemporel.

Comme mon processus de création est assez lent et que je ne sais pas sortir un EP tous les mois, je n’ai pas envie que dans un an, mon EP « Interferences » ne soit plus jouable car trop dépassé.

Aujourd’hui, un côté lent dans la production, cela peut parfois être un désavantage dans un monde où un track ne dure que quelques mois...

En effet, et cela bloque énormément. De plus, la musique n’est pas mon activité principale car je suis encore étudiant. Donc, oui, réussir à se faire une place dans un univers aussi dynamique, c’est parfois décourageant. Cependant, la musique m’anime depuis toujours et je me raccroche à cela.

Depuis que j’ai 10 ans, c’est clair et net dans ma tête, je veux faire de la musique, je veux vivre de ça ! J’essaye de repenser au Martin qui, à 10 ans, mixait dans son grenier pendant des heures et j’ai envie de rendre ce Martin-là fier aussi. Et même si mes rêves d’aujourd’hui ne sont pas forcément les mêmes que ceux d’il y a 10 ans parce qu’on évolue, on grandit, j’ai quand même envie que les rêves de ce Martin de 10-12 ans se réalisent.

Comment créer de l’intemporel, comment réussir à produire un son qui ne vieillira pas ?

Je pose des accords, je ne me pose aucune question et je laisse le fil de ma pensée construire le track petit à petit. Il y a des processus conscients mais aussi inconscients qui font que le produit musical est ce qu’il est.

Si tu regardes mes influences musicales, elles sont tellement multiples. Je pense que ma playlist Spotify pourrait faire peur à certaines personnes parce qu’elle n’a aucun sens. Il y a du rock, des années 80, du classique, du piano, des musiques de films et de l’électronique ! En ce moment, j’écoute beaucoup Calogero par exemple. Cela n’a pas beaucoup de sens dit comme cela mais j’essaye de me nourrir de plein d’influences différentes pour en créer quelque chose de nouveau.

Au-delà de créer une musique qui est produite par mes influences, je pense que j’ai envie que ce soit le reflet de ma personnalité. Et toutes ces influences font qui je suis…

Calogero, c’est étonnant !

La version live de « En apesanteur » est juste incroyable, j’ai envoyé un message à Romain, mon manager, afin de lui demander ce qu’il pensait d’un éventuel remix (rires).

Juste avant « Interferences », il y a ton premier EP « Quaero ». Quelle est l’évolution entre ces deux opus ?

« Quaero » est un terme latin qui signifie « je cherche » et c’était une période où je me cherchais vraiment dans mes sonorités musicales. Comme je te le disais, au moment où j’ai commencé à produire, forcément, on essaye de s’accrocher à des choses qu’on connaît. Et du coup, les premiers sons qui sont sortis de mon ordinateur étaient un peu plus accès radio, généralistes.

Et une fois que j’ai décidé de laisser tomber tout ça parce que je me suis rendu compte que ça ne m’animait pas, J’ai débuté une phase de recherche musicale, de recherche de moi. Je me suis posé beaucoup de questions, « Qui je suis ? », « Qu’est-ce que je veux produire ? ». D’où ce « Quaero » !

J’ai l’impression que cette année et demie d’évolution entre les deux opus m’ont aidé à me trouver. Cela se sent dans les sonorités, ily a un fil conducteur qui rend mon univers musical cohérent et harmonieux. Et au niveau de la qualité de production, je suis forcément plus satisfait d’« Interferences » que de « Quaero ». Avant, les tracks étaient plus simples mais avec de nombreux éléments, parfois trop ! Je me retrouvais avec des projets de 100 tracks sur mon mixeur. Quand j’envoyais les pistes à l’ingénieur son, il devenait fou (rires). Avec « Interferences », il y a beaucoup moins d’éléments et je trouve que les morceaux sont plus aboutis, plus réfléchis.

Dans cette recherche de soi, on peut dire que le troisième EP sera celui de la confirmation de ton personnage et de ton univers artistique ?

Je mets beaucoup de temps à produire et comme c’est une passion avant tout, je ne me mets pas de deadline. De plus, ma musique traduit des phases par lesquelles je passe et du mood dans lequel je suis. Par exemple, là, j’ai eu un premier quadrimestre scolaire extrêmement chargé et je n’ai rarement ressenti autant de pression que ces derniers mois. Et les quelques heures que j’ai pu passer derrière mon ordi à produire de la musique, c’est quelque chose d’un peu plus brut, un peu plus dark. On sent que c’était la course ! Je ne sais pas dire si le troisième EP, ce sera la confirmation…Si ça se trouve, ce sera une collaboration avec Calogero (rires) ! J’ai envie de continuer dans cette lignée de « je me fais plaisir », c’est un parcours initiatique et évolutif.

Ta musique semble toujours très personnelle, tu te confies, tu racontes de belles histoires. La musique électronique est une échappatoire pour toi ? Si oui, comment expliques-tu cela ?

Le morceau le plus personnel avec le plus d’histoire et qui est le plus chargé en mon vécu, c’est « Archives ». C’est un track que j’ai sorti le jour de mon anniversaire, le 31 décembre, pour mes 21 ans. C’est un des tracks qui est le moins écouté, probablement parce qu’il est le plus personnel. De plus, il n’y a pas de label derrière, donc pas de promo etc. J’ai fait un peu de mailings à droite et à gauche mais les statistiques ne sont pas incroyables. Mais j’aime beaucoup parce que ça reste très humain.

Cela me permet de quantifier un peu les écoutes, de mettre des personnes derrière ces chiffres. J’aurais du mal à avoir un EP écouté par 600 000 personnes, et me dire « Qui sont ces gens, d’où ça sort, qu’est-ce que c’est » ? Le fait que c’est une dimension très humaine, c’est trop génial. Le track a moins de 5000 streams mais quand je l’ai joué pour la première fois à la release party d' »Interferences », j’ai vu mes proches, mes amis, ma famille avec les yeux humides, c’était le plus beau sentiment du monde.

Récemment, il y a eu la release party d' »Interferences », et c’était la première fois que je jouais « Archives ». J’aime beaucoup le fait que les gens soient émus, au-delà de juste danser sur de la musique. Pour moi, la musique doit être un vecteur d’émotion. Et si je parviens à transmettre une émotion, c’est le plus important pour moi !

Et quelle est l’histoire de ce morceau « Archives » ?

Ma mère a retrouvé un caméscope rempli de vidéos et j’ai essayé de les extraire. De base, rien n’était volontaire ! Je suis très attaché aux souvenirs, je filme beaucoup de moments de vie car j’aime me dire que dans 15 ans, je pourrai revoir ces instants uniques. L’idée originale était de faire un morceau qui reprenait des souvenirs de l’année passée par exemple.

Quand j’ai découvert ces vidéos de mon enfance, je me suis dit que ça faisait plus sens de le faire avec ces éléments. Et donc voilà, je les ai incorporés dans un projet très évolutif avec une longue montée et un seul drop. Tout s’est fait de façon naturelle, rien n’était calculé.

Et quelle a été la réaction de tes proches ?

Pour être très honnête, la première fois que j’ai fait écouter « Archives » à ma maman, elle a juste dit : « T’es sûr, Martin ? Tu vas vraiment sortir ça ? » (rires). Mais tout le monde a aimé le projet et ma famille a été très émue de l’entendre en live durant la dernière release party.

C’est aussi une manière d’être reconnaissant pour plein de choses vis-à-vis de ma famille et de mes parents. Même si je suis quelqu’un de très sensible, très émotif, j’arrive très vite à dire « Je t’aime », à mes amis, à leur faire des câlins, des bisous. J’ai parfois plus de mal à le faire avec ma famille. Je pense l’avoir fait à travers « Archives ».

Justement, sur les réseaux sociaux, tu montres des choses parfois très personnelles tout en cultivant un certain mystère. Comment parviens-tu à créer cette balance dans ta direction artistique ?

C’est très compliqué ! Les réseaux sociaux, c’est vraiment le big deal pour moi parce qu’ils représentent tout ce bruit dont je te parle et que je dénonce. Du coup, ça me donne pas toujours envie de l’alimenter…

Je n’ai pas envie de créer un milliard de contenus non-stop pour alimenter ce bruit que je dénonce constamment, avec trop de contenu auquel on fait face. Cependant, je trouverais ça dommage d’avoir une musique avec laquelle je veux faire passer un message, mais de ne pas le faire passer. Donc, j’essaie de le faire de la manière la plus sobre possible, en faisant comprendre aux gens que ce n’est pas de la musique vide avec des gros guillemets, mais qu’il y a une volonté derrière, une intention non seulement artistique, mais aussi personnelle au travers du projet.

C’est vrai que c’est très difficile de trouver cet équilibre, surtout à l’heure actuelle, où on se rend compte que n’importe qui peut devenir un immense artiste juste par le biais des réseaux sociaux, en étant assidu et en suivant les tendances. Personnellement, je n’arrive pas à m’y faire, je n’arrive pas à aller suivre ces tendances. Ce n’est pas un mood auquel je m’identifie et dans lequel j’arrive à m’insérer.

C’est un équilibre très difficile à trouver. Et si ça se trouve, c’est peut-être pour ça que le nombre de streams n’explose pas… C’est parce que je n’ai pas envie et je ne passe pas assez de temps là-dessus, alors que c’est peut-être nécessaire. Les réseaux sociaux sont parfois une véritable source d’angoisse pour beaucoup d’artistes. Beaucoup se sentent obligés de créer du contenu. J’ai déjà pas mal échangé sur le sujet et j’ai parfois l’impression que l’inverse se passe, que certains créent des morceaux hyper simples dans l’optique de faire du contenu pour les réseaux sociaux. Je dis ça sans jugement, bien entendu !

Quand on remonte un peu dans le passé, on découvre des titres qui sonnent très EDM/Progressive. Que penses-tu de ces morceaux avec le recul désormais ?

La phase de découverte d’un logiciel de production, c’est génial ! Au début, c’est parfaitement inaudible, et en tant que jeune producteur, quand t’arrives à sortir une première musique qui sonne juste, t’en es juste trop fier. Tu te dis qu’il faut que les gens écoutent ça. Ce n’est pas forcément le reflet de ce que tu es, ce n’est pas toujours très bon, mais c’est un premier projet musical qui sonne juste ! J’ai très vite eu envie de partager ça, donc j’ai sorti quelques titres de nouveau en total indépendant.

Ensuite, l’objectif était de viser les labels, d’être signé. Tu penses qu’une fois que c’est le cas, à toi le succès et la notoriété. Du coup, j’approchais quelques petits labels et certains sont intéressés. Un de Suède, un d’Italie, un de New-York etc. Je me souviens de mes premiers contrats qui ne sont vraiment pas bons du tout, qui ne servent pas du tout un jeune artiste indépendant. En fait, je cédais l’intégralité de mes masters donc je n’avais plus la possibilité de les supprimer, les modifier, de générer de l’argent avec etc.

Avec le recul, cela fait partie du processus de création et de mon développement artistique. Quand on débute, on fait tous des erreurs, on passe tous par certaines phases. Je suis très content d’être passé car cela m’a appris énormément. Quand je vois certains artistes qui pètent du jour au lendemain, j’ai beaucoup de respect pour eux car c’est une telle pression, un monde qui change totalement… Personnellement, je ne supporterais pas cela.

Tes mésaventures avec des labels, est-ce la raison principale que tu gères tout en indé désormais ?

D’une part, j’aime avoir le contrôle sur tout : la communication, la promotion, la date de sortie etc. Quand j’ai sorti « Archives », c’était un 31 décembre. Aucun label n’aurait pris ce risque. D’autre part, au fond de moi, je n’arrête pas de me dire : « Ce n’est pas assez qualitatif pour être signé en label ».

Le fait d’être indépendant, c’est une volonté mais en même temps, cela peut être une limite. En effet, mes streams ne s’envolent pas vraiment. Même si j’apprécie le côté humain de toutes ces écoutes, j’aimerais que ça touche plus de monde. Si je suis amené à revoir mes positions, cela se fera naturellement.

Quels sont tes projets à venir ?

Comme je l’ai dit, je ne me fixe pas de deadline, ni de palier à atteindre. Je suis dans une étape charnière de ma vie, j’ai besoin de prendre un peu de temps pour moi et de voyager. La musique que je produis reflète des phases par lesquelles je passe. Il y aura des phrases productives, d’autres moins. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai bossé sur un projet un peu plus « salé », si je peux dire cela comme ça. Cela représente un moment durant lequel j’ai ressenti beaucoup de pression. Je ne promettrai pas un album à venir mais je continuerai à produire naturellement en fonction de ce que je ressens et ce qui m’anime.

Merci d’avoir répondu à nos questions ! Un dernier mot pour la fin ?

Je tiens à remercier Valliue qui est le premier média ciblé qui supporte le projet. Cela me touche vraiment d’avoir cet interview et de constater que vous me suivez de près.

Interview par Remicrd et Valso.

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