Lors de sa récente venue à Toulouse pour la Matière Grise, nous avons posé quelques questions à l’excellent producteur Habstrakt ! De la sortie imminente de son futur album à l’impact des avis sur Internet, en passant par la qualité de la scène française… Découvrez ses propos ci-dessous :
Salut Adam ! Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Je m’appelle Adam, aka Habstrakt. Je suis producteur de musique, DJ… J’ai envie de dire artiste multi-facettes ! J’ai 33 ans et suis originaire du sud de la France. Je vis à Los Angeles, aux États-Unis. On est aujourd’hui à Toulouse pour ma date au Rex ce soir, avec les potos Sqwad, Koos et toute la bande. Ça fait longtemps que je ne suis pas venu donc on a hâte de faire le show !
C’est la question de base du site… Quelle est ta définition de la musique électronique ?
C’est une question qui a l’air simple, mais qui est très compliquée en vrai ! Je définirais ça par l’utilisation du synthétiseur et de la boîte à rythmes. L’absence de personnes qui jouent de réels instruments, mais la présence de patterns et de loops. J’aime garder le terme assez vague car il y a beaucoup de choses que j’écoute qui sont électroniques sans être EDM. Elles correspondent à ces critères sans avoir forcément l’aspect dancefloor et djing qui est associé de nos jours.
Ton premier album Héritage sort très prochainement. On a d’ailleurs pu avoir un aperçu avec tes 3 singles déjà sortis : “Outer Space”, “Vision” et “Molotov”. Concrètement, à quoi doit-on s’attendre ?
À beaucoup d’imprévisibilité ! Je montre pas mal de facettes que je n’ai pas l’habitude de montrer. Une grande partie a été faite avec mon synthétiseur modulaire, une musique générative qui a été source de séquenceurs un peu aléatoires et randomisés. Donc une grosse partie de la musique qui s’est plus ou moins écrite toute seule. Il y a une part d’ambient, c’est assez personnel. Je n’ai pas joué la carte de tous mes titres très commerciaux. C’est plus une histoire, un voyage qui comprend plusieurs étapes. L’album dure 40 minutes, 15 morceaux. Cela va assez vite, c’est condensé, beaucoup de lectures continues. Quelques petites piqûres de rappel avec des samples déjà entendus comme sur “Vision”. C’est un peu un éloge à ce que j’ai fait moi-même dans le passé (rires). Un clin d’œil à plein de choses, avec une vision plus large et plus assumée que ce que je fais d’habitude. Avant, c’étaient des singles… Là, il faut que ce soit une cartouche !
As-tu une certaine appréhension quant à la réception de celui-ci de la part du public, ou c’est avant tout une satisfaction personnelle ?
J’ai une grosse part d’appréhension. À la fois ça fait des années que je ne lis plus ce qu’on pense de ma musique, car c’était très néfaste pour moi. Ça me faisait beaucoup de mal. Je me concentrais sur le faible pourcentage de commentaires négatifs au détriment des bons retours. J’avais du mal à faire la part des choses ! Quand tu sors un album, tu es dans le viseur de la presse. Donc il faudra quand même que je lise ce que les gens en pensent. Mais je fais de l’art pour moi-même, avant tout. Je suis très content de l’œuvre, et le reste est un peu hors de mon contrôle. Ce sera mon cadeau au monde ! Si les gens veulent le recevoir c’est tant mieux, s’ils ne le veulent pas… Je serai tout de même fier car c’était un travail compliqué et long. J’ai souvent cru que je n’allais pas y arriver, donc je suis fier d’avoir réussi le processus et réussi quelque chose comme ça.
La sortie d’un premier album est généralement un tournant dans une carrière. Beaucoup d’artistes prennent le temps avant de griller cette cartouche. Le vois-tu de cette manière, ou cela représente pour toi une simple suite logique ?
J’ai bien pris le temps quand même. Le projet Habstrakt a 10 ans. À une époque, je tournais pas mal sous le format EP, que j’ai abandonné ensuite pour passer sur des singles. Le premier album est important, mais un album en général finalement. Le processus créatif est compliqué, et je suis très incisif, impartial. Pour moi, c’est soit la meilleure chose que j’ai faite de ma vie, soit complètement de la merde (rires). Je n’ai pas d’entre-deux. Je vais détester un de mes morceaux jusqu’au jour où je l’aimerais plus que tout. Donc réussir à garder cet état d’esprit sur quinze pièces, en gardant une cohérence entre elles… C’est très dur. Mais c’était une très belle étape pour moi, où j’ai beaucoup appris sur moi-même. C’était nécessaire si tu prends ton projet au sérieux et si tu te sens capable de raconter une histoire. Il faut juste se lancer !
Tes remixes Bass House, à l’image de « Ring The Alarm » et « Do It To It », retournent tout sur leur passage. Est-il plus facile de remixer des titres qui sont déjà des bangers en version originale ?
Ouais, de loin ! Je me considère d’ailleurs comme meilleur remixeur que compositeur original. Je pense que mes remixes sont plus forts. J’ai trouvé ma méthode dernièrement, j’utilise beaucoup de synthétiseurs analogiques et de modulaires. C’est une grosse boîte où j’ai des drums, des samples, des synthés, des voix… Je pourrais faire un morceau entier. J’ai mis en place un système où je peux exporter une série de pistes dans Ableton, que je redécoupe pour en faire un morceau. J’ai trouvé cette méthode pour me remixer moi-même, car je me suis rendu compte que je travaille mieux quand j’avais déjà une base. Ça me donne une note de référence, un bpm et un sample. Ce sont deux ou trois petites choses qui me donnent l’étincelle pour que ça démarre. Donc je me crée une base pour remixer.
Est-il absolument nécessaire d’avoir des connaissances musicales théoriques, comme le solfège, pour produire de la bonne musique électronique et sortir du lot ?
Non, je ne connais pas le solfège. J’ai fait une école de musique mais j’étais plus intéressé à fumer ! J’ai fait des cours de guitare également mais ça s’est très mal passé, je détestais mon prof quand j’étais gamin. D’ailleurs mes parents m’ont fait remarquer récemment que je jouais beaucoup de guitare étant gosse, sauf quand je prenais des cours (rires). C’est très paradoxal ! Après, on a toujours eu un piano à la maison et plein d’instruments. Mais je ne sais pas lire une partition, faire un accord, je ne connais ni l’harmonie ni le solfège. Ce n’est pas faute d’avoir essayé car j’étais en cours de musicologie à l’Université, où on faisait des dictées de notes. J’étais avec des prodiges du conservatoire qui avaient l’oreille absolue. Je tapais des 0/20… Lors de plusieurs moments de ma vie, j’ai essayé de comprendre l’écriture de la musique, mais j’ai toujours échoué. C’est un langage ! Pendant très longtemps, c’était frustrant pour moi. Puis j’ai décidé de prendre ça comme une force pour moi. Je ne sais pas faire d’accords mais je sais faire un reef et créer une mélodie. En musique électronique, si tu arrives à faire une ligne de basse, tu peux réussir à camoufler le fait que tu ne saches pas faire d’accord. J’ai récupéré ça de mon époque guitariste. Le morceau qui a changé ma vie est « Seven Nation Army » de The White Stripes. C’est le morceau le plus simple, mais également le plus complexe que j’ai jamais entendu de ma vie. C’est une série de notes très simple mais ça marche indéfiniment. Pour ça, il faut avoir du cœur et pas forcément de connaissance en solfège.
En 2014, tu as été considéré comme le précurseur de la Bass House en sortant le remix “Hellcat” pour MUST DIE!. Comment expliques-tu que ce style est, 10 ans après, un des plus populaires de la scène électronique française et mondiale ?
J’en ai aucune idée pour être honnête avec toi. À l’époque, c’est SKisM qui m’avait demandé de faire le remix, le boss de Never Say Die. Je peux fermer les yeux et me rappeler de la conversation par mails ! Je lui ai écrit “Je ne sais pas si c’est de la grosse merde, ou si c’est le futur ce que je viens de faire”. Je savais que c’était l’un ou l’autre, mais je ne savais pas de quel côté de l’équation je me plaçais. SKisM m’a répondu “Je sais pas non plus” (rires) ! Je n’avais pas trop idée de ce que je faisais en sortant ce morceau. Ça a marché, car cela m’a permis d’attirer l’attention de Skrillex. Trois ans après, on a fait la collaboration « Chicken Soup ». D’ailleurs pareil, quand on l’avait fait, on ne savait pas si c’était nul ou le futur (rires). Donc des fois il faut faire un pari et se lancer. Il n’y avait pas de juste milieu… C’était soit un gros hit, soit une grosse daube. Pour “Hellcat”, c’était pareil. Je n’étais pas très inspiré en 2014 en plus, donc il fallait le sortir. Pour l’anecdote, JOYRYDE m’a raconté que c’était quand il avait entendu ce remix qu’il a commencé son projet. Il avait en tête de faire un son House un peu plus énervé, orienté Rave avec des sonorités Dubstep plus agressives. Ça lui a ouvert la porte et il s’est lancé.
Mais du coup, pourquoi cela marche toujours autant aujourd’hui ?
Je pense que ça prend des éléments de plein de choses. La Bass House ne se contente pas de prendre un gros beat ou une grosse bassline, il y a plein d’influences de la culture Rave des années 90. On puise dans les classiques. Donc inconsciemment, même si le public est plus jeune, c’est assimilé à une culture, à un rapport à la scène. C’est très festif et plus dancefloor que par exemple le dubstep très porté sur le headbanger. Quand je regarde mon public, chacun danse différemment sur un de mes sets. Les gens kiffent et ont chacun leur appropriation de la chose. C’est à la fois agressif, mais très ouvert et festif. Ça coche plusieurs cases, et ça parle aux gens qui n’ont pas de style de référence auquel ils s’identifient.
Penses-tu que la Bass House a enfin trouvé, à juste titre, sa place dans le monde événementiel français ? Ou il y a encore un fossé trop important avec la scène nord-américaine ?
Ça fait des années que je n’ai pas joué en France, donc je ne sais pas. J’ai fait le T7 à Paris il y a un mois. L’an dernier, on a fait le b2b avec Contrebande, et Nice ce week-end. Je pense que oui. S’il y a bien un genre qui cartonne aujourd’hui en France et qui a une communauté hyper solide, c’est la Bass House. J’aime pas dire “Bass House”. Pour moi, c’est un autre type de house plus pêchu et plus agressif. Mais en France, on a un line-up de malade. On a Sqwad, Badjokes, Asdek, Basstrick, tous les Sans Merci avec Tony Romera, Keeld, Bellecour… Je peux passer des heures à les nommer. De Max Mash à Damien N-Drix… On a une culture house / bass house qui est extrêmement forte. C’est la french touch 3.0 ou 4.0. Je leur donne beaucoup de crédits, car c’est eux qui ont bossé sur le territoire toutes ces années-là pendant que moi, j’étais aux USA. Le mérite ne me revient pas du tout, mais plus à des mecs comme Tony Romera ou les Sqwad. C’est eux qui ont alimenté ça pendant tout ce temps. En tout cas, je suis content de retourner dans le pays et voir comment ça pète. À l’époque je faisais des soirées dans des petits bars, maintenant on fait des sold-out avec une énergie de malade ! Nombreux sont les producteurs français qui ont cimenté la place en béton armé. C’est un des genres les plus solides en France à l’heure actuelle. Je vois en tout cas une plus grosse culture pour ça que pour le dubstep ou la drum’n bass. On est tous une grande bande de potes en plus ! C’est dangereux (rires), tu nous mets tous ensemble dans une même pièce… On ne va pas te lâcher tranquille !
Lors d’une interview avec nos confrères de chez HandsUp, tu as affirmé qu’une collaboration avec DJ Snake est envisageable, à condition d’avoir la “tuerie du siècle” ! Tu te doutes que nous sommes tous impatients… Il y a du nouveau ?
Toujours pas… On s’envoie des idées par-ci par-là. La même chose que j’ai dit à HandsUp, c’est qu’on est très pointilleux et exigeant sur ce qu’on veut faire. Et tant qu’on n’aura pas de dinguerie, on ne sera pas prêt. On a essayé plusieurs fois, depuis cette conversation on s’est échangé quelques idées. Je lui avais notamment envoyé “Outer Space”, il était très intéressé mais n’a pas réussi à trouver un truc dessus. Ça va venir ! Il faut trouver quelque chose qui soit digne de nous deux.
Tu qualifies cette exigence ancrée dans la culture française. Les collaborations avec les artistes nord-américains se font-elles plus naturellement ?
Je pense que oui. J’ai quand même ramené ce sentiment d’exigence dans la pièce. Ce sont des gens également très pointilleux sur ce qu’ils font ! Un mec comme Skrillex par exemple, le plus dur n’est pas de faire une collaboration avec lui, mais de la sortir. C’est quelqu’un de très pointilleux, mais qui produit cinquante sons par jour. Tu te rends donc compte que tu ne peux pas sortir tous les morceaux. Il faut donc être encore plus exigeant. Il a mis dix ans à sortir son nouvel album, deux d’un coup même. Chez des personnes aussi talentueuses que Skrillex et Jauz, tu trouveras le même standard d’exigence. Que ce soit sur la scène française ou ailleurs ! Ça n’enlève en rien de ce que je pense de l’excellence du standard français. Je pense qu’on est un peu plus pointilleux que le reste du monde. On a un public qui est très critique, on est donc obligé d’avoir cette exigence.
Sur les réseaux sociaux, tu joues la carte de l’ironie et de l’humour sur plusieurs de tes posts, est-ce que c’est un moyen pour toi d’affirmer ta personnalité ou simplement un moyen de communiquer avec ton public ?
Quand je fais un post sur les réseaux sociaux, je ne pense pas du tout à la réception de la part du public. Sinon je n’en fais pas, car ça me terrifie énormément. C’est le meilleur moyen de faire quelque chose de confortable pour moi. Dernièrement, j’ai fait des trucs débiles où je me brosse les dents et crache sur le miroir, ou encore en peignoir dans la baignoire (rires). D’ailleurs, je l’ai filmé ici la dernière fois (ndlr : hôtel Pullman à Toulouse) pour la sortie du remix “Do It To It”. C’est un peu mon moyen de faire un doigt d’honneur à mon manager qui me dit “vas-y, fais une vidéo” ! À chaque fois, il me demande une vidéo promotionnelle type influenceur, mais je préfère boire un café sous la douche avec une perruque (rires). Pour moi, c’est ça ! Mon humour vient de Pierre Desproges, de Coluche… Très sarcastique. C’est un peu aussi une défense pour moi. Je n’aime pas que l’on se moque de moi. Mais si je le fais moi-même, ça laisse peu de place à de la moquerie derrière. Tu ne peux pas attaquer quelqu’un qui rit de lui-même. Je ne suis pas très fier de mon corps par exemple, mais je vais poser en caleçon sur la couverture de “Do It To It”. C’est une sorte de protection. C’est plus pour moi-même, car encore une fois, je regarde rarement les commentaires sur ce que je fais, ça me fait trop réfléchir sinon. J’aime ne pas me questionner sur la réception de ce que je fais, sur mon art en général. Et je pense que ça fait partie de mon art, car ça fait partie de l’artiste.
Merci d’avoir répondu à nos questions. As-tu un dernier message à faire passer ?
Gardez la pêche ! Brossez-vous les dents, faites du sport. Écoutez mon album, ce serait cool ! Et écoutez tous les frenchies qui font du son, car il y en a beaucoup qui carburent. On a une sacrée équipe, respect à tous les potos qui cartonnent en ce moment.
Préparation : Valso, Joffrey & Vincent / Réalisation : Joffrey & Vincent / Retranscription & montage : Valso